C’est une silhouette familière pour tous les habitants de la région. Une forteresse de briques rouges qui veille silencieusement sur l’entrée d’Arques-la-Bataille. Surnommée la « belle endormie », cette friche industrielle est plongée dans le sommeil depuis le début des années 1980.
Pourtant, derrière ces murs patinés par le temps, résonne encore l’écho d’une formidable aventure humaine et technologique. Bien avant de devenir une friche, le site Ernest Carnot fut le cœur battant d’une révolution qui a changé la façon dont les Français s’habillent. Retour sur un siècle d’excellence.
Le pari d’un visionnaire : L’empreinte Carnot
Pour comprendre l’importance de ce site, il faut remonter au tout début du XXe siècle. Nous sommes en 1903. Le nom de Carnot est alors l’un des plus prestigieux de la République : Ernest Carnot est le fils d’Hippolyte et le frère du Président Sadi Carnot.
Mais Ernest n’est pas qu’un « héritier », c’est avant tout un industriel visionnaire. Il pressent que le monde change et que l’industrie textile est à l’aube d’une rupture technologique. Il choisit Arques-la-Bataille, avec ses ressources en eau et sa main-d’œuvre, pour y installer la Société Française de la Viscose.

La révolution de la « Soie Artificielle »
À cette époque, la soie est un produit de luxe, réservé à une élite bourgeoise. Le génie du site d’Arques va être de démocratiser l’élégance.
L’usine produit de la Viscose, une soie artificielle créée à partir de cellulose. Plus solide, plus abordable et tout aussi esthétique, cette matière première bouleverse les codes. Grâce à la production arquaise, le vêtement de qualité devient accessible aux classes populaires.
Sans le savoir, les ouvriers d’Arques-la-Bataille posaient les premières pierres de ce qui deviendra plus tard le prêt-à-porter moderne. Durant des décennies, les bobines sorties de ces halles ont servi à tisser et habiller la France entière.
Arques-la-Bataille : De la cité médiévale à la cité industrielle
L’implantation de l’usine va transformer radicalement la physionomie d’Arques. L’ancien bourg, dominé par son château médiéval, change d’échelle.
L’usine devient le poumon économique de la vallée. Pour loger les milliers d’ouvriers et de cadres, une véritable ville nouvelle émerge. C’est l’époque du paternalisme industriel : on construit la « Cité de la Viscose », des logements ouvriers de qualité, des commerces se développent, la démographie explose.
L’usine ne se contente pas de produire ; elle structure la vie sociale. Les familles vivent au rythme des sirènes de l’usine, créant une culture locale forte, faite de solidarité et de fierté du travail bien fait.

Le réveil d’un géant ?
Puis vint le déclin de l’industrie textile en Europe, et la fermeture du site au début des années 80. Durant 40 ans, la nature a repris ses droits, et le site est entré dans une longue hibernation.
Mais l’histoire est un éternel recommencement.
Les murs bâtis par Ernest Carnot ont résisté au temps. Ils ont abrité une révolution industrielle au XXe siècle, et ils pourraient bien être le théâtre d’une nouvelle révolution stratégique pour la France du XXIe siècle.

Car à quelques kilomètres de là, un nouveau défi industriel majeur se prépare avec le projet EPR2 de Penly. Et si la « belle endormie » s’apprêtait à rouvrir les yeux pour former les bâtisseurs de demain ?


